Quand l'organisation déstructure l'équipe

International audienceA la demande d’un service départemental d’incendie et de secours, une analyse de l’activité de travail des conducteurs sapeurs-pompiers a été menée afin d’enrichir la construction d’une formation spécifique dédiée aux conducteurs et prévenir le risque routier. L’activité de conduite est, dans ce contexte, étudiée en tant qu’activité collective.La méthodologie mise en œuvre relève de l’analyse ergonomique du travail utilisant comme outils techniques des films tournés en situation réelle d’intervention, des entretiens avec les agents et des observations in situ. L’analyse est couplée aux méthodes et outils proposés par la démarche ergologique, qui offre une place centrale aux savoirs issus de l’expérience des opérateurs, cristallisés dans l’activité de travail et les verbalisations. Plusieurs plans de travail collectif sont identifiés : l’équipe de travail, l’équipage de départ en intervention et le binôme de conduite. Ce binôme se partage des outils intermédiaires qui leur demandent une coopération systématique. Le partage des responsabilités administratives et pénales lors d’un accident donnent à ce binôme un statut particulier.L’activité collective est ici observée en tant que processus. Elle se construit en passant par différentes phases de pré-requis comme le partage d’un référentiel commun et le développement de la confiance entre les agents. Ce processus permet de dépasser la coopération imposée par l’organisation et les outils techniques.L’étude montre que la sécurité, du point de vue du risque routier, est gérée par le binôme de conduite. Mais les pratiques organisationnelles mises en place depuis une dizaine d’années déstructurent les équipes de travail, fragilisent les binômes et ainsi la construction de l’activité collective. La composition des équipes n’est plus stable, les agents mutent régulièrement entre casernes et manquent de temps pour connaître leur zone d’intervention et les binômes sont imposés par le système informatique sans prise en compte des compétences réelles de chacun des agents. Différents stades de construction pour les activités collectives ont pu être modélisés avec les opérateurs : une première phase de coopération « en méfiance », une phase de test, puis une conduite avec activité collective si la confiance s’installe, et un retour à la coopération « en méfiance » si le test échoue. Cette construction nécessite du temps, de l’expérience opérationnelle commune et l’expérience du vivre ensemble. La gestion de la sécurité est un développement construit par les opérateurs. Or, ce temps ainsi que certaines marges de manœuvre ont été supprimés par les réorganisations départementales. De ce fait, le processus d’activité collective qui permet une sécurité gérée par les agents ne peut se construire pour chaque binôme. Le savoir capitalisé par ces binômes en termes de connaissances de leur secteur géographique d’intervention ne peut être développé. Au-delà de la formation adressée au conducteur, une prise en compte de l’activité de travail par les responsables de l’organisation est essentielle pour permettre aux agents de développer leurs compétences de gestion du risque routier