Développement territorial et concurences identitaires

En Afrique sub-saharienne, l'échec relatif des programmes de développement centralisés et la généralisation du mouvement de décentralisation conduisent les agences de coopération à concevoir des interventions à maîtrise d'ouvrage locale. Cette réorientation de l'aide internationale intervient dans une période de recrudescence des identités communautaires qui émergent en réaction au désengagement des Etats. Elle s'annonce comme une exportation de dogmes idéologiques qui associent trop rapidement le local au démocratique, la proximité à la citoyenneté. Le développement, forcément équitable, passerait par un «cadre de référence commun», une vision partagée du devenir des territoires. Dans différents contextes africains où coexistent des identités très tranchées ce schéma ne semble pas opérationnel. Le cas du Nord-Cameroun est particulièrement explicite: pêcheurs et éleveurs musulmans, agriculteurs chrétiens ont des perceptions différentes des territoires qu'ils occupent. Ils mettent en oeuvre des stratégies exclusives de maîtrise de leurs territoires en renforçant la relation identitaire à l'espace et en imposant leur propre vision historique et spatiale. Ces identités concurrentes participent à l'émergence de «micro-nationalités» et à la pluralité des modes de régulation territoriale. Autant d'évolutions à contre-courant d'un processus de création d'une nation et de valeurs citoyennes, que risquent de favoriser un pilotage local du développement et des programmes d'appui à la décentralisation. Cette étude de cas nécessite au préalable une revue épistémologique de l'évolution du concept de territoire, de l'espace d'un pouvoir à un espace de projet. Cet article mettra l'accent sur le décalage entre démarches de développement territorial et revendications identitaires recrudescentes qui peuvent dériver vers des mouvements incontrôlés de déconstruction nationale, de déprise citoyenne au profit d'un regain communautaire, réel ou inventé. (Résumé d'auteur