Communication, croyance et construction identitaire : le cas des légendes urbaines : analyse sémio-pragmatique de récits légendaires contemporains

La légende urbaine est un phénomène communicationnel flou et complexe qui présente certaines spécificités par rapport à d'autres genres narratifs. Encore peu étudié, il n'existe pas de véritable consensus sur sa définition, sur sa dénomination et sur les efficacités qui lui sont attribuées par ceux qui la diffusent. Pourtant certaines de ces légendes circulent de manière si rapide et si étendue, remportent une telle adhésion et déclenchent tant d'intérêt et de curiosité, qu'elles sont des objets d'étude passionnants. Jouant sur l'affect et le symbolique plus que sur le rationnel, la légende urbaine est une histoire profane localisée, temporalisée et individualisée relatant des événements inhabituels récents - surprenants, drôles mais le plus souvent terrifiants - qui seraient arrivés à l'ami d'un ami du narrateur ou à un inconnu. Mêlant imaginaire et réel, c'est un récit populaire, assez court, structuré et articulant plusieurs unités d'informations. Il s'appuie sur des représentations, des personnages stéréotypés et des situations standardisés. Ce genre de récit se propage à travers les années et les continents, variant sur quelques points comme le lieu, les dates, les caractéristiques des personnages selon le contexte et le milieu socioculturel des sujets-transmetteurs qui se le réapproprient. Toutefois son fond reste identique. L'histoire relatée est présentée comme authentique alors qu'elle ne l'est pas. C'est pourquoi beaucoup la considère comme un fait divers ou une anecdote. Diffusée selon divers modes de diffusion, la légende urbaine contribue à la création d'un sens commun, d'une identité sociale et au renforcement de la cohésion sociale et ce, par le biais de mécanismes psycho-sociaux communicationnels qui s'enclenchent lors de sa narration. L'analyse sémio-pragmatique de centaines de légendes nous a permis de montrer les intentions, les représentations, la relation et les rôles de ceux qui les diffusent. Ces récits peuvent varier selon cinq types distincts mais chacun met en scène la confrontation de deux protagonistes et ses conséquences : l'un représentant la communauté des sujets-transmetteurs, l'autre une entité opposée jugée « négative ». Cette opposition permet d'associer certains individus ou phénomènes à des actes ou des événements renvoyant à la peur, l'interdit, l'espoir ou au mystère. Des procédés discursifs, destinés à augmenter la croyance dans le récit, diminuent la réflexion critique et favorisent l'émission de son message qui peut être : prévenir d'un danger, condamner un comportement, s'approprier la satisfaction d'un acte réprouvé ou justifié mais risqué, ou encore surprendre par la présence de l'irrationnel dans le quotidien. Reflet de nos préoccupations et de notre interprétation du monde, la légende urbaine est un moyen de connaissance de certains événements touchant de manière intime, profonde et affective les individus d'un groupe par le biais de l'identification ou de l'exclusion du personnage principal de son récit. Grâce à elle, l'individu peut s'identifier et reconnaître son appartenance à un groupe social - ou une communauté particulière - par l'échange interactionnel de la narration du récit et de la discussion qui peut en découler ainsi que par le partage de certaines normes, valeurs ou idéaux, repris et défendus de manière souvent implicite dans le message. La création et l'affirmation d'une identité ne peut se faire que par opposition à une autre mais notre société complexe et multiculturelle ne permet plus de se définir comme appartenant à une entité unique. La légende urbaine permet de simplifier et de clarifier les limites de l'un de nos groupes d'appartenance, qu'il soit moral, religieux, ethnique, culturel..., et de reporter les problèmes existants sur un bouc-émissaire, choisi arbitrairement. / The urban legend is a loose and complex phenomenon of communication which has certain specific characteristics as compared with other genders of narrative. It has as yet been little studied and there is no real consensus as to its definition, the name to be given it or the effects attributed to it by those spreading it. Yet, some of these legends circulate so fast and so far and wide and gain such credence, arousing so much interest and curiosity, that they make fascinating study material. Playing upon feelings and symbols rather than on rationality, the urban legend is a profane story situated in a specific place, at a specific time and involving named individuals; it tells of unusual recent events, which may be surprising or funny but are in most cases terrifying all of which happened to a friend of a friend of the narrator or to a stranger. Mixing the real and the imaginary, it is a folk tale which will be fairly short, structured, and will involve several items of information. It will tend to make use of stereotyped representations and characters and standardised situations. This sort of tale is propagated over the years and across continents, varying in a number of respects; for instance, the dates and the description of the characters will depend on the socio-cultural context and environment of the tale-tellers who have appropriated the legend. Nevertheless, the basis remains unchanged. The story told is presented as authentic, although it is not. That is why it will often be regarded as a news item or anecdote. Spread in various different ways, the urban legend contributes to the creation of a shared sense of belonging, a social identity and the strengthening of social cohesion and this it does through various psycho-social mechanisms which are triggered off by the telling. The semio-pragmatic analysis of hundreds of legends has enabled us to discern the intentions, representations, relationships and roles of those who spread these tales. These fall into to five distinct classifications but each involves a confrontation between two protagonists and its consequences: one represents the community of the subjects-transmitters of the legend and the other, an opposing entity which is viewed as 'negative'. This opposition makes it possible to associate certain individuals or phenomena with acts or events that touch on fears, taboos, hopes or a sense of mystery. Discursive devices are used to give greater credence to the tale, decrease critical reflection and promote the spreading of the tale's message, which may be: warning of some danger, condemning a form of behaviour, gaining satisfaction from the performance of an action which is either reproved or justified but dangerous, or surprising listeners with the presence of the irrational in everyday life. Reflecting our anxieties and our interpretation of the world, the urban legend is a means of gaining knowledge of certain events which intimately, deeply affect individuals within a group on an emotional level through identification with or rejection of the principal character of the tale. Through this process, the individual can identify and acknowledge his membership of a social group or a particular community by means of the interactive exchange involved in the narration of the tale and the discussion that may arise from it and the sharing of certain norms, values or ideals, contained and often implicitly defended in the message. An identity can be created or affirmed only in opposition to another one but our complex multicultural society no longer enables us to define ourselves as belonging to any single entity. The urban legend makes it possible to simplify and clarify the limits of one of the groupings to which we belong, whether this be moral, religious, ethnic or cultural... and to place the blame for existing problems on an arbitrarily chosen scapegoat.Doctorat en sciences sociales (Information et communication) (COMU 3)--UCL, 200