L'hybride : merveilleux et scientifique dans Le Dr Lerne de Maurice Renard

International audienceSi Maurice Renard est connu pour Les Mains d’Orlac (1920), plusieurs fois porté à l’écran, son premier roman, Le Docteur Lerne, sous-dieu (1908) témoigne d’une même maîtrise du style et d’un même intérêt pour l’hybridité. Cependant, alors que Les Mains d’Orlac relate l’histoire d’une double greffe de mains, une chirurgie aujourd’hui à notre portée, Le Docteur Lerne pousse plus loin la question de l’hybridité, en partant de la greffe végétale pour passer au mélange végétal-animal et animal-humain, et même à l’hybridité humain-machine. Par ailleurs, un des intérêts du romancier Maurice Renard est son propre travail de théorisation d’un genre qu’il dénommait « merveilleux-scientifique ». Il en détailla les principes dans un article de 1909 où se trouvent déclinées les formes principales de constructions du genre (analogie, transposition, procédés hypothético-déductifs, etc.). Dans ce manifeste, il souligne les qualités intrinsèques et les potentialités inédites du genre, à savoir une combinaison de logique scientifique et de récit merveilleux. Plus précisément, la science, par sa capacité à ouvrir des perspectives, suscite l’émerveillement ou l’effroi, tandis que, réciproquement, la rêverie sur le progrès produit un effet sur la science et ses orientations. Le merveilleux-scientifique n’incarne donc ni une stricte volonté d’anticipation, ni une pure évasion du réel, mais une façon particulière — requérant la fiction de l’avancée technique ou de la rupture épistémologique — d’explorer le va-et-vient entre les possibles de la science et de la rêverie. À cet égard, Le Docteur Lerne fait feu de tout bois. Soigneusement informé des techniques d’hybridation végétale déjà éprouvées, il les transpose à l’animal, et pousse jusqu’à à la machine. L’hybridation n’est pas seulement abordée comme un nouveau procédé technique, mais explorée dans ses effets effroyables et merveilleux, non sans humour, quand par exemple le personnage principal, dont le cerveau a été greffé sur un taureau, fait état de ses sensations et de ses pulsions