Des religions aux idéologies : « sécularisation » de l'intolérance.

Le processus de sécularisation qui marque nos sociétés invite à confronter l'intolérance d'origine religieuse à celle que sécrètent bon nombre d'idéologies modernes et contemporaines. A son tour, cette analyse comparée suggère l'idée d'une homologie structurelle qui situe les racines de l'intolérance en amont tant des croyances religieuses que des systèmes idéologiques. Or il semble que l'intolérance procède de la manière caractéristique dont les groupes religieux et idéologiques se rapportent à quatre paramètres : l'aspiration de chaque groupe au salut impose à ses membres une indispensable cohésion, laquelle suppose l'émergence d'un pouvoir capable d'arbitrer les rapports de force qui traversent le groupe ; en même temps, chacun tend à justifier sa position par un discours qui fait appel à la vérité, valeur réputée souveraine. En fait, tôt ou tard, le salut et la cohésion des uns se heurtent au pouvoir des autres, tandis que la quête de l'unique vérité éclate en revendications contradictoires. Toutes les conditions sont alors réunies pour que l'intolérance mette en péril les chances d'un respect réciproque du droit à la différence. La situation se renverserait si les différents protagonistes s'efforçaient d'inventer de nouvelles manières de gérer le besoin de cohésion, la soif de salut, un exercice aussi démocratique que possible du pouvoir et la patiente confrontation des approches divergentes de la vérité. C'est déjà beaucoup qu'une analyse spectrale de l'intolérance religieuse et idéologique montre comment il convient de ne pas s'y prendre.Charles Wackenheim. Des religions aux idéologies : « sécularisation » de l'intolérance.. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 63, fascicule 1-2, 1989. pp. 117-135