Versailles, un imaginaire politique

Versailles, imaginaire de l'absolutisme. Poser cette affirmation renvoie à un double problème : celui du discours sur/de Versailles. Que la lecture de Versailles ait été jusqu'ici faite en termes d'histoire de l'art, si peu soucieuse des significations, relève de la pratique trop exclusivement empirique de cette discipline en France et au monopole qu'elle exerce sur les « œuvres d'art ». La légitimité d'une lecture politique s'autorise cependant de l'usage que le pouvoir a fait de l'art, et de la culture en général, depuis la Renaissance, et de la nature du pouvoir à l'âge baroque pour qui la représentation devient consubstantielle. Dans cette perspective, le Versailles de Louis XIV apparaît comme un point d'orgue au bout de deux siècles de production intensive d'images par le pouvoir, au moment où l'absolutisme monarchique bascule vers l'absolutisme bureaucratique. À l'extrémité de la période de genèse de l'État moderne, que dit Versailles de cet État en train de basculer ? Si Versailles est un discours, il convient de l'aborder comme tel : faire l'inventaire et la typologie des images, de celles qui restent et de celles qui ont disparu, sous quelque forme qu'elles se soient présentées (plafonds peints, tapisseries, peintures du chevalet, sculptures intérieures et extérieures...) ; établir la généalogie de ces représentations ; enfin étudier leur fonctionnement. Versailles parle du pouvoir, dans les termes traditionnels de l'humanisme et du « baroque international » (le pouvoir participe de l'éternité du cosmos, des éléments, de l'homme...), mais aussi en des formules spécifiques à la monarchie louisquatorzième (indissolubilité France/Roi, définition du gouvernement comme l'acte d'ordonner, immobilité du Prince, visualisation de la centralisation...). Versailles parle aussi du politique : sphère du magique, lieu intemporel, au-delà culturel où se meurt le roi à l'image de la divinité, - et de la crise de cette représentation : discours codé à visée ségrégative, ou propagande visant à l'adhésion du plus grand nombre ? Perversion du sens, fonctionnement « esthétique » et non « politique ». La crise du discours de Versailles enregistre la mutation de l'État absolutiste.Sabatier Gérard. Versailles, un imaginaire politique. In: Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984) Rome : École Française de Rome, 1985. pp. 295-324. (Publications de l'École française de Rome, 82