Emergence de la vocalité : la glossolalie et le musical

International audienceDans la perception musicale, le son, la voix et la voix intelligible correspondent à trois degrés d’organisation de complexité croissante, qui évoquent un phénomène d’émergence. Sous certaines conditions, la voix émerge du son musical, et la perception change radicalement, mettant en jeu des représentation mentales différentes, liés à la représentation anthropomorphique. De même, sous certaines conditions, le sens émerge du son vocal et la perception change de nouveau radicalement, mettant en jeu les circuits linguistiques. Le propos de cette communication est d’étudier les conditions de l’émergence de la voix et de la parole dans le musical, puis d’aborder des exemples d’utilisation musicale de cette émergence. Au niveau du son, l’émergence de la vocalité a été étudiée comme formation de flux dans les scènes auditives. Par exemple un son harmonique mis en mouvement par du vibrato peut révéler une voix. Des mouvements spectraux rapides dans certaines régions évoquent immédiatement des voyelles et des voix enfouies dans le son. En systématisant ces résultats, les condition de passage du sonore au vocal sont étudiées à partir de critères acoustico-phonétiques, intonatifs et articulatoires. L’émergence du sens dans le vocal implique un autre degré d’organisation. Le son n’est plus seulement perçu comme vocal, mais comme intelligible. Il faut alors faire appel aux niveaux linguistiques, donc à des critères phonologiques, lexicaux, et éventuellement syntaxiques. Les questions musicales posées par l’émergence de la vocalité sont nombreuses. Un exemple important de passage du sonore au vocal, mais sans le sens, est celui des diverses sortes de pseudo-langues ou de glossolalies. La forme de la vocalité est adoptée (première émergence de la vocalité). Le sens n’est pas dénoté (il n’y a pas de signification), mais seulement connoté, avec une forte dimension expressive et émotive. D’autres exemples de glossolalies de fait sont certaines formes de musique, récitation épique ou théâtre, conservées comme patrimoine esthétique, mais dont l’intelligibilité immédiate n’est plus perçu à cause de l’évolution de la langue (comme le Nô japonais). Plus radicalement, poésie sonore se revendique comme une forme esthétique de la glossolalie. Le passage du vocal au linguistique est le second passage dans l’émergence de la vocalité. Même dans les situations musicales ou l’aspect linguistique est véritablement intégré dans le projet esthétique, ce passage n’a pas forcément lieu. C’est le cas par exemple de l’opéra ou de la chanson dans une langue étrangère à celle de l’auditeur. Ici encore la perception correspond à une glossolalie de fait, et se ramène au premier passage. A l’inverse, la lutherie électronique permet le second passage. Les procédés de synthèse croisée (vocodeur), ou la synthèse de la parole permettent d’imposer une parole intelligible à quasiment toute source sonore. Deux aspects de l’émergence de la vocalité en utilisant les lutheries électroniques sont abordés. Le premier aspect porte sur l’augmentation électronique des instruments acoustiques en relation avec le modèle vocal. Une certaine forme d’émergence vocale est obtenue par le mélange de sons acoustiques et de sons traités en temps-réel. L’identité instrumentale varie alors continument entre le familier et le radicalement nouveau. Le second aspect porte sur les glossolalies électroniques, par le développement d’instruments pour le contrôle manuel de la voix de synthèse. Deux instruments développés récemment, le Cantor Digitalis et Calliphony permettent le contrôle « chironomique » de la voix. Joués en solo ou en chœur, ces instruments suscitent de nouveaux gestes pour l’expression musicale. Ils permettent d’explorer la ligne de crête entre vocalité, sens et musique « pure »