Relever les défis du marché

Les Caraïbes sont à un carrefour de leur évolution agricole. Ici, l'agriculture était consacrée à la production de denrées de base destinées à la vente sur les marchés protégés européens. Ce n'est qu'à partir de l'indépendance qu'on s'est soucié d'augmenter la production vivrière pour la consommation locale. Néanmoins le secteur alimentaire domestique, comparé au secteur des plantations ne représente qu'une très faible part de la production agricole. Cette formule ne garantit pas sa réussite ni même sa survie pour l'avenir. La libéralisation du commerce international, ratifiée lors des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a enlevé aux pays des Caraïbes l'initiative du changement. Pour la première fois dans l'histoire, nous assistons à des tentatives de soumettre le commerce des denrées agricoles aux règles du commerce international. En fait, avant même les conclusions du sommet de l'OMC, les membres avaient pris la décision de libéraliser le commerce de tous les produits tropicaux. Les pays de la région caraïbe avaient mis en route des programmes d'ajustement, comme d'autres l'ont fait ailleurs. Nos programmes prenaient en compte la nécessité d'une mobilisation de nos économies, et notamment le besoin de réduire notablement la protection jusqu'alors accordée aux productions agricoles en terme de tarifs et de quotas. Cette situation très concurrentielle à laquelle nous nous sommes trouvés soudain confrontés a entraîné la destruction de certaines de nos industries locales. Par exemple, l'élevage industriel de volailles du Guyana s'est effondré dans les neuf mois qui ont suivi la levée des quotas à l'importation. La viande de boeufs et d'agneaux élevés sur des herbages sous les cocotiers à Trinidad et Tobago ne peut concurrencer la viande subventionnée européenne débarquée à Port of Spain. A ce tournant de l'histoire nous allons devoir opérer une profonde transformation de notre industrie agro-alimentaire. Nous devrons passer d'une situation de marchés aux prix contrôlés établis sur des quantités fixées à l'avance, à une ère de technologies nouvelles permettant d'augmenter la productivité afin de pouvoir commercialiser nos denrées selon les règles de la concurrence internationale. Pour y parvenir, nous devrons mettre en place un nouveau secteur commercial local, car nous n'avons ni la tradition, ni l'expérience de la commercialisation de nos produits dans le vrai sens du terme. Dans le passé, les quantités et les prix étaient fixés et il ne restait plus qu'à organiser le transport et la distribution. Aujourd'hui, nous devons conduire des études de marchés, identifier les créneaux, trouver de nouveaux partenaires commerciaux, et créer une infrastructure commerciale entièrement nouvelle, sur le plan logistique comme en termes de ressources humaines et de compétences. Nous devons construire un réseau complet d'information sur le marché, et, surtout, nos producteurs doivent accepter le défi de produire un ensemble de denrées qui devront constamment rester très compétitives en termes de prix, de qualité et de livraison. Pour répondre aux nouveaux besoins de nos agriculteurs, les services de vulgarisation devront se concentrer non plus sur la seule production comme par le passé, mais plutôt sur la commercialisation. Cela nécessitera un changement des mentalités et un effort de formation. Avec quelle célérité et quel souplesse l'agriculture caribéenne évoluera-t-elle ? Cela dépendra beaucoup de l'engagement politique et de la priorité accordée à l'agriculture dans nos pays, qui influeront directement sur le comportement et le moral des agriculteurs. Changer les schémas de production et adopter de nouvelles cultures et techniques signifie investissements et risques. Les agriculteurs ne seront prêts à les accepter que dans la mesure où ils seront soutenus par de solides conseils en production et en marketing, et se sentiront assez sûrs de leur capacité à être compétitifs. Des précédents existent, tels que le lancement réussi du café jamaï quain Blue Mountains sur le marché, et, plus récemment, le développement par le Belize et l'organisation Fair Trade d'un créneau pour un chocolat biologique vendu sous l'étiquette Black and Gold. L'agence dominicaine d'information sur l'import-export (DEXIA) et l'unité de coordination sur la diversification agricole de l'Organisation des Etats des Caraïbes de l'Est (OCES) ont des expériences à partager. Le retrait de la société Geest du marché de la banane aux Iles du Vent laisse maintenant une place aux initiatives locales. Certains continuent à voir dans l'exploitation minière, le tourisme ou l'industrialisation les solutions les plus séduisantes pour le développement de nos économies et ces activités y participeront toutes à des degrés divers. Cependant, l'agriculture sera toujours à la base de quasiment toutes nos économies et certains pays comme le Belize et le Guyana en dépendront presque totalement. Nous n'avons pas le choix. Les chefs d'Etats des Caraïbes, dans leur nouvelle vision pour le secteur agricole, ont admis la nécessité d'un développement agricole fondé sur la compétitivité internationale : en développant des ressources humaines appropriées, en négociant la suppression graduelle des marchés actuellement protégés et leur remplacement par des alternatives viables. Notre réussite dépendra aussi de notre capacité à attirer nos jeunes gens les plus brillants vers les filières de formation pour une carrière dans la production, le marketing et le conseil en agriculture. Les opinions émises dans cette tribune libre n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient être attribuées au CTA.Les Caraïbes sont à un carrefour de leur évolution agricole. Ici, l'agriculture était consacrée à la production de denrées de base destinées à la vente sur les marchés protégés européens. Ce n'est qu'à partir de l'indépendance qu'on..