Si l'eau vient à manquer...

Le niveau de l'eau ne cesse de baisser dans de nombreuses régions du monde. Le lit des rivières rétrécit, le niveau des lacs et de la nappe phréatique est de plus en plus bas. Presque partout, l'eau est consommée comme si elle était inépuisable. Pourtant, cette ressource est non seulement limitée mais de plus en plus demandée avec l'augmentation de la population du globe et de son niveau de vie. Il importe donc de trouver le moyen de répondre à cette demande en hausse, en tenant compte du cycle naturel de l'eau dont dépend l'avenir de l'humanité. Plus de 80 pays du monde,représentant 40 % de la population du globe, subissent, dans certaines régions ou à un moment donné,des pénuries d'eau. Près d'un milliard d'habitants de la planète n'ont pas accès à l'eau potable. Ils utilisent l'eau souvent polluée des rivières, des lacs, des fossés ou des puits peu profonds. La pollution de l'eau représente le premier risque sanitaire du monde, responsable de 80 % de la morbidité dans les pays en développement, en raison principalement de l'absence de systèmes d'évacuation des eaux usées ou du mauvais état des égouts. Près de 95 % des égouts se déversent directement dans les cours d'eau, avec des quantités croissantes de déchets industriels. L'OMS estime qu'au début des années 90 environ, 10 millions de personnes mouraient, chaque année, dans le monde, pour avoir bu de l'eau polluée. Par ailleurs, 1,7 milliard de personnes vivent dans des conditions d'hygiène insuffisantes. Aujourd'hui, le manque d'eau menace les deux tiers de la population africaine ; l'eaupotable commence à se faire rare dans les îles comme le Cap Vert. En Afrique subsaharienne, 265 millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et 344 millions vivent dans des conditions d'hygiène insuffisantes, et les maladies transmises par l'eau sont la première cause de mortalité infantile. Lorsque 1000 personnes s'approvisionnent à la même fontaine publique, les maladies peuvent se transmettre facilement. Or les adductions individuelles, très souhaitables sur le plan sanitaire, ne peuvent qu'augmenter la consommation de cette ressource déjà rare. La demande domestique et industrielle en eau va croître avec la population, donc principalement dans les villes. La concurrence entre l'agriculture, l'industrie et les villes pour des ressources en eau limité entrave déjà les efforts de développement dans de nombreux pays. La propriété de l'eau est devenue un problème politique au niveau international et- .. local. De nombreux cours d'eau traversent des frontières et peuvent donc souffrir, en quantité et en qualité, des activités du ou des pays situés en amont. Ainsi, l'eau du Nil bleu et du Nil blanc fait vivre neuf pays ; le Botswana, la Gambie, la Mauritanie et le Soudan reçoivent près de 75 % de leurs réserves en eau d'un ou plusieurs pays limitrophes situés en amont. L'agriculture principale consommatrice L'agriculture consomme plus des deux tiers de l'eau fournie par des fleuves, rivières, lacs et aquifères du globe, et 90 dans les pays à faible revenu. Première consommatrice d'eau du monde, l'agriculture valorise pourtant peu l'eau qu'elle utilise, sa rentabilité est faible et elle est fortement subventionnée. En revanche, les familles pauvres de certaines grandes villes doivent consacrer jusqu'à 20 % de leurs revenus pour acheter de l'eau. L'agriculture doit donc rentabiliser l'usage qu'elle fait de cette richesse si l'on veut la préserver. Pour les agriculteurs qui cherchent à augmenter leurs rendements sur des sols surexploités, où l'eau est un facteur limitant, il est difficile de faire davantage. Comment résoudre ce dilemme ? Les comportements sociaux et politiques devront changer de même que les techniques d'exploitation. L'égalité de l'accès à l'eau doit prévaloir. Pour cela, les décideurs politiques devront prendre des mesures pour modérer la demande, les ingénieurs devront chercher une meilleure efficacité des systèmes de production et de distribution, et les usagers devront apprendre à ne plus gaspiller cette précieuse ressource. Mais l'efficacité des solutions techniques est, pour l'instant, discutable. Près de 235 millions d'hectares de terre cultivables sont irrigués dans le monde aujourd'hui, soit cinq fois plus qu'au début du siècle. Parallèlement, la population du globe a triplé. Le développement de l'irrigation a certes grandement contribué à augmenter la production alimentaire. Aujourd'hui, l'irrigation fournit un emploi à 2,4 milliards de personnes, qui peuvent se nourrir et gagner de l'argent. Selon les estimations, dans trente ans, elle fournira 80 % des vivres supplémentaires nécessaires au monde pour se nourrir. Mais il faut en payer le prix. Pour irriguer un hectare de rizière pendant une saison, il faut 15 000 m3 qui pourraient nourrir 100 nomades et 450 têtes de bétail pendant trois ans. Dans les années 80, près de 30 % des prêts consentis par la Banque mondiale à l'agriculture sont allés à l'irrigation. Et le montant total des sommes consacrées à l'irrigation par l'ensemble des donateurs dépasse 2 milliards de dollars par an depuis dix ans. Malgré son coût très élevé, 60 % de l'eau détournée ou pompée pour servir à l'irrigation se perd par infiltration et évaporation. L'irrigation en question Les grands barrages se sont révélés moins performants qu'on avait pu l'espérer. En Afrique, un barrage ou un système d'adduction d'eau peut coûter jusqu'à 20 000 dollars par hectare irrigué. Même pour des ouvrages d'irrigation de moyenne importance, cette somme ne peut, en Afrique, descendre en dessous de 7 200 dollars à l'hectare. L'ensablement trop rapide des lacs de retenue a augmenté le prix de nombre de projets de grande envergure. Défense de l'environnement, dépenses sociales, ces systèmes ont aussi coûté très cher pour des bénéfices économiques décevants. Le barrage d'Akosombo qui a noyé sous ses eaux 5 % du Ghana en 1966 n'a pas apporté les bénéfices économiques escomptés. En outre, le lac Volta en amont du barrage retient une grande partie des sédiments produits par l'érosion des berges de la rivière Volta : 10 000 habitations du Togo voisin ont été emportées par les eaux en moins de trois décennies. Or, si le barrage fournit de l'électricité bon marché à une fonderie de bauxite, la bauxite, elle, est importée. Les ouvriers sont employés par des sociétés étrangères, et pas un sou n'a été investi dans des projets d'irrigation pour compenser la perte de toutes ces terres cultivables. Remplir le lac Tchad par de l'eau détournée du fleuve Zaïre, achever le Canal Jonglel qui traverse la région du Sud et augmenter le débit du Nil, certains restent encore tentés par des opérations de prestige. Mais la plupart des grands projets de ce genre finissent par s'enliser dans toutes sortes de difficultés. L'entretien des machines, barrages et canaux se révèle trop coûteux et trop difficile à organiser, quand ce n'est pas la volonté politique qui fait défaut. Par ailleurs, quand les agriculteurs ne sont pas propriétaires de leurs terres, ils se sentent peu responsables du système. La petite irrigation est considérée aujourd'hui comme l'option la plus réaliste. Moins onéreuse, plus rapide à installer, mieux adaptée à l'environnement, elle suscite souvent la participation des populations locales. Trois formes principales de petite irrigation existent : la culture en plaines d'inondation, le détournement des cours d'eau et l'irrigation par pompage. Les pertes d'eau et la salinisation des terres sont les deux problèmes qui se posent dans tous les cas.Un quart de la totalité des terres irriguées des pays en développement (entre 1 et 1,5 millions d'hectares chaque année) est concerné, à des degrés divers, par le problème de la salinité. Des cultures résistantes au sel sont mises au point mais il est sûrement plus judicieux de pouvoir s'en passer. Remblayer les canaux d'irrigation ou irriguer par flux successifs permet de combattre les infiltrations. L'irrigation par gravité est la base de nombreux systèmes traditionnels. De nouveaux matériaux ont vu le jour qui permettent de réduire les quantités d'eau libérées par les canaux, tout en diminuant la superficie irriguée. Tuyaux en béton, pvc ou polyéthylène à forte densité, plaques de tôle ondulée et vannes de retenue en acier permettent de réduire les pertes en eau ainsi que les coûts de main d'oeuvre élevés liés à la maintenance. La culture dans des plaines d'inondation consiste, pour l'essentiel, à construire des remblais ou diguettes de terre autour des champs cultivés pour retenir ou fournir l'eau selon les besoins. Cependant, nombre des rivières qui inondaient ces plaines autrefois ont été équipées de barrages hydrauliques : les sédiments, emprisonnés dans le lac de retenue, empêchent le bon fonctionnement des turbines au lieu de fertiliser les plaines. Ainsi, dans la vallée nigériane du Sokoto, après la construction du barrage de Bakolori, l'irrigation par pompage des maigres nappes souterraines remplace désormais cette méthode. L'irrigation par pompage de la nappe phréatique s'est rapidement développée ces dernières années. De petites pompes fournissent 10 à 20 litres d'eau à la seconde qui permettent d'irriguer un hectare en deux heures environ. Ces pompes connaissent un grand succès auprès des agriculteurs car elles sont faciles à transporter, ne demandent pas d'effort pour fonctionner et sont mises en marche et arrêtées à volonté. Des facilités de crédit peuvent en outre être obtenues pour leur acquisition. Elles restent cependant dépendantes du gasoil, de l'entretien, de la disponibilité de pièces détachées. Au Zimbabwe, au Kenya et au Sénégal, en revanche, des pompes à pédale remplacent les seaux utilisés pour irriguer les légumes. Cette technique permet de tirer jusqu'à huit mètres cubes d'eau à l'heure, d'une profondeur de sept mètres, en gagnant de précieuses heures de travail par rapport à l'arrosage manuel. Elle permet donc d'irriguer des surfaces plus importantes, véritable aubaine pour les femmes, souvent chargées de l'irrigation. Retour à la tradition Revers de la médaille, ces techniques plus performantes risquent d'épuiser la nappe phréatique. On extrait l'eau comme s'il s'agissait d'une substance minière. Les nappes phréatiques s'abaissent, l'extraction de l'eau coûte plus cher en énergie et en matériel. Plus grave encore, l'eau de mer risque de s'infiltrer, rendant impossible la reconstitution de cette source d'eau potable. Les anciens systèmes d'adduction d'eau font l'émerveillement des ingénieurs d'aujourd'hui. Beaucoup fonctionnent encore. Pendant 2000 ans, les tunnels qanat, en pente douce, ont transporté l'eau des nappes phréatiques du sud-ouest asiatique vers l'Afrique du nord. Puisqu'aucune pompe n'intervient, il n'y a pas de risque que l'eau soit extraite plus vite qu'elle ne se renouvelle. Mettre davantage d'eau à la disposition de l'agriculture sans épuiser les ressources disponibles, tel est le défi. Les agriculteurs des régions où l'eau a toujours été rare ont mis au point des systèmes qui pourraient servir de modèles aux régions où l'eau s'est raréfiée depuis peu. Les solutions techniques les plus prometteuses sont celles qui s'appuient sur les systèmes traditionnels. Lorsque l'eau est rare, soit les populations partent vivre dans des lieux plus cléments (difficiles à trouver de nos jours), soit elles mettent au point des dispositifs pour capturer la moindre goutte d'eau disponible. Dans les régions montagneuses d'Afrique, telles que la chaîne Mandara au Cameroun ou le Djebel Marra du Soudan, les cultures en terrasses sont spectaculaires. Nécessité oblige, les hommes ont déployé une énergie colossale pour subsister. En pays Dogon au Mali, les agriculteurs placent des pierres sur la roche mère qu'ils recouvrent de sable et de terre collectés dans le lit des rivières. Leurs cultures maraîchères sont réputées. Au Burkina Faso, dans le Yatenga, les agriculteurs cultivent traditionnellement les terres arides en creusant de petits trous appelés zay, qu'ils améliorent aujourd'hui avec de l'engrais. L'idée a été reprise par le projet agroforestier financé par l'OXFAM, qui associe l'usage des zay et celui de diguettes en pierre. Des milliers d'hectares de terre aride ont ainsi été réhabilités. Les agriculteurs cassent la croûte superficielle du sol, creusent des trous où ils mettent de l'engrais. Les termites attirées rendent le sol plus fertile et plus apte à capter l'eau. Les récoltes de sorgho et de mil peuvent dépasser les 1000 kg à l'hectare durant les années de pluviométrie moyenne. Même lorsque la pluviométrie est inférieure à la moyenne, ces zay permettent d'obtenir des rendements satisfaisants, en recueillant et concentrant l'eau de pluie. L'idée s'est répandue jusqu'à la région d'Illela au Nigéria, où des centaines d'agriculteurs ont perfectionné leurs trous traditionnels (tassa) selon ce principe. Ces techniques demandent un travail considérable aux hommes, dans des conditions naturelles qui incitent peu à travailler dur. Dans l'Ader Doutchi Maggia, au Niger, les agriculteurs construisent ancestralement des cordons pierreux pour retenir l'eau. Des techniques « modernes » de conservation du sol et de l'eau, il ne reste pas grand-chose tandis que les diguettes subsistent partout. Sans gaspillage, pas de pénurie Cesser de gaspiller l'eau est la première mesure à prendre. Des robinets d'eau coulent en continu, sans que l'on pense à les fermer. Si l'eau coule si facilement, c'est qu'elle existe en abondance, se disent les gens. De précieuses ressources souterraines sont ainsi dilapidées. Difficile à réaliser qu'il faut économiser lorsque ces gens sont incités à utiliser davantage d'eau pour laver, se baigner et arroser leur jardin potager. Les hommes politiques et les responsables de l'aménagement du territoire doivent gérer les ressources en eau afin que chacun bénéficie des quantités dont il a besoin. Ils peuvent soutenir ou s'opposer à la construction d'un grand barrage, à la réalisation d'un projet de lutte contre les inondations ou d'un périmètre d'irrigation. D'autres décisions, plus discrètes mais tout aussi importantes sont prises ainsi, décider de promouvoir un produit agricole d'exportation très rentable mais fortement demandeur d'eau pour accroître ses recettes, ou encourager l'irrigation des rizières pour augmenter l'offre sur le marché intérieur. L'amélioration des techniques d'alimentation en eau ne peut que partiellement répondre à l'accroissement de la demande. Les décideurs politiques devront aussi inciter les consommateurs à changer de comportement pour mieux gérer les ressources en eau, réduire les pertes de même que la pollution. De plus, l'accroissement démographique entraîne une augmentation de la demande en eau, non seulement pour la production alimentaire, mais aussi pour l'évacuation des déchets humains et industriels. Pour les besoins de l'humanité, il faut chercher à retenir l'eau dans la partie du cycle où elle est la plus utile, à savoir sur terre, sous forme d'eau potable, plutôt que dans la mer, sous forme d'eau salée. De nombreuses activités humaines ont eu l'effet inverse. La déforestation, par exemple, accélère le ruissellement des eaux de pluie sur les versants des collines... qui vont aux fleuves... qui vont à la mer. Les décideurs politiques vont devoir mettre en place des politiques et stratégies nécessaires pour amener les populations à utiliser l'eau judicieusement et à l'économie. Le développement agricole durable et la sécurité alimentaire en dépendent. L'eau est trop précieuse pour être gaspillée, que ce soit par l'agriculteur industriel ou par la femme qui la transporte sur la tête. Bibliographie L'or bleu du XXI' siècle - Courrier de la Planète - 3191, route de Mende 34033 - Montpellier Cedex 1 - FRANCE Ritimo édite un catalogue d'outils pédagogiques sur l'eau, l'environnement et le tiers-monde - 21ter, rue Voltaire 75011 - Paris - FRANCE La gestion de l'eau et les politiques de l'eau Dossier coordonné par Bernard Barraqué La Documentation Française n'686 - 29, quai Voltaire - 75344 - Paris Cedex 07 - FRANCE Le grand livre de l'eau - Editions La Villette Cité des Sciences et de l'Industrie - 30, avenue Corentin Cariou - 75019 - Paris – FranceLe niveau de l'eau ne cesse de baisser dans de nombreuses régions du monde. Le lit des rivières rétrécit, le niveau des lacs et de la nappe phréatique est de plus en plus bas. Presque partout, l'eau est consommée comme si elle était..