Lait transformé, lait conservé

Comment conserver le lait dans des régions où les températures sont souvent élevées et où les producteurs sont très dispersés ? En transformant le lait et en fabriquant du fromage. Ce produit, moins fragile que le lait frais, représente une alternative économique et alimentaire intéressante. Bien que la quantité de laitages produite en Afrique reste tout à fait limitée, de petites laiteries sont créées car la valorisation du lait prend d'autant plus d'intérêt que beaucoup de régions connaissent un déficit en protéines important. En Afrique, les laits de vache, brebis, chèvre et chamelle sont souvent consommés par les populations, surtout dans les zones d'élevage et à proximité des villes. Cependant, une grande quantité de cet aliment idéal pour toutes les tranches d'âge se perd. Au moment de la saison des pluies les éleveurs disposent d'un surplus qu'ils ne peuvent écouler parce qu'ils sont pour la plupart itinérants et loin des lieux de consommation. Les routes ne sont guère praticables, les villes sont éloignées, et une source de nourriture importante et de revenus se perd. Il existe bien une longue tradition de fabrication de lait fermenté et plus rarement de fabrication de fromages en Afrique, chez les peuples d'éleveurs. Si cette activité n'est pas nouvelle, le temps ne l'a pas modernisée : il s'agit le plus souvent d'une fabrication à petite échelle, artisanale, de niveau familial. Les recettes se transmettent de génération en génération et elles ne sont pas suffisamment connues pour faire l'objet d'études visant à améliorer la qualité des produits. Les fromages fabriqués en Afrique sont surtout des fromages frais qui sont très simples à fabriquer. « La fermentation reste le mode de transformation le plus courant en Afrique. Le lait fermenté est même souvent préféré au lait frais parce qu'il se conserve mieux, qu'il est plus digeste et qu'on lui prête également des vertus thérapeutiques » expliquent les responsables de l'activité laitière du GRET. Simplement égouttés après caillage du lait, ces fromages ne nécessitent pas d'affinage. En revanche, ils doivent être consommés immédiatement car ils ne se conservent pas très longtemps. On les trouve dans toutes les zones d'élevage. A l'inverse, dans les zones arides, les Touaregs et les Maures fabriquent des fromages extrêmement secs qui se conservent plusieurs mois : le takammart (haoussa), le tikomart (tamacheq), ou le tchoukou (Niger) fabriqué avec du lait de vache ou de chèvre, ou un mélange des deux, qui est tellement déshydraté qu'on ne peut plus le croquer. Seul un mortier ou un pilon peut en venir à bout pour consommation trempé dans du thé ou incorporé dans la boule de mil. Un morceau d'estomac séché de jeune chevreau sert de présure pour faire cailler le lait dans un vaste vase en bois. A l'aide d'une grande louche, les femmes puisent le lait caillé qu'elles mettront égoutter sur une natte. Elles pétriront les fromages à la main avant de les déposer sur des tiges de fenouil sauvage qui les parfumeront. Au Soudan, au Bénin et au Nigeria, les Peuls fabriquent un fromage blanc, le Wara, le Woagachi ou encore le Waranski, à base de lait de vache, très apprécié des populations. Les femmes chauffent le lait dans de grands pots où elles ajoutent du jus extrait de la pomme de Sodome (Calotropis procera) ou des feuilles de papaye qui contiennent une enzyme qui fait cailler le' lait. Après avoir chauffé le caillé dix à vingt minutes, les femmes l'égouttent et le malaxent. Les fromages sont prêts. S'ils sont destinés à être vendus sur des marchés éloignés, ils peuvent être cuits dans de l'eau salée. Ils sont mis à sécher sur les toits des cases pendant quelques jours et ces fromages, à pâte molle à l'origine, se durcissent peu à peu et peuvent se garder plusieurs semaines. Les Béninois colorent ces fromages dans une solution chauffée de feuilles et de tiges de sorgho rouge alors qu'au Soudan, le Wara est vendu blanc. Au Bénin, en 1993, la production a été estimée à 2 000-2 500 tonnes. Le plus souvent, ce fromage est lavé et bouilli avant d'être consommé ; les petits morceaux sont frits dans l'huile ou incorporés dans la sauce ou dans différents plats. L'Ayib est un fromage doux fait à partir de lait caillé dans de nombreuses régions d'Ethiopie. Il peut être préparé à base de lait écrémé (après séparation des matières grasses du lait) ou du babeurre obtenu par barattage du lait entier. Au Kenya et en Tanzanie, de nombreux petits exploitants produisent un fromage qui ressemble au Scarmoza italien. Celui-ci est fabriqué à partir de lait entier ou partiellement écrémé. Ces deux fromages sont produits de manière différente. L'ayib est obtenu en chauffant le babeurre à environ 50'C alors que le lait destiné au Scarmoza n'est porté qu'à 36C, température à laquelle des ferments sont ajoutés. Bien que le thermomètre soit un instrument utile, de nombreux paysans savent déterminer d'eux-mêmes la température avec une précision remarquable. Ils ont aussi appris la propreté, celle du manipulateur, du lait, des ustensiles, qui est essentielle pour éviter les contaminations bactériennes. Cellesci donnent au fromage un goût non désiré et réduisent sa durée de conservation. Tchoukou, Wara, Cheddar ou Scarmoza ? En Centrafrique, les Peuls fabriquent une sorte de Cheddar. Aussitôt après la traite de leurs animaux, le lait est filtré dans un linge puis chauffé pendant une demiheure et mis à cailler avec une présure dans de grandes calebasses. Quelques heures après, le fromage frais est salé, moulé et placé sous une grosse pierre pendant toute une nuit. Le séchage, qui dure presque un mois, sous un tissu, donne un fromage qui peut facilement se conserver plusieurs semaines. Bien que d'autres types de fromages soient fabriqués ici et là, « la tradition fro magère reste peu développée en Afrique » affirme Mémina Sanogo, du GRET, qui a consacré un ouvrage aux petites fromageries (voir bibliographie). Cette situation a plusieurs explications. Sauf dans les sociétés d'éleveurs, les Africains consomment peu de lait et de ses dé rivés dans la cuisine. Les circuits commerciaux sont donc très limités. Les températures élevées ne favorisent pas la conservation de ces produits fragiles, ni la fabrication des fromages. Quant aux chaînes de froid, elles sont rares. Une mini fromagerie portable Pourtant, dans plusieurs pays, des efforts sont faits pour inciter les populations qui disposent de lait à fabriquer des fromages. Ainsi, la FAO a mis au point un kit de fromagerie qui est distribué aux productrices de tchoukou, au Niger. Cette sorte de mini-fromagerie portable, dont tous les éléments tiennent dans un sac de jute (égouttoir, bidon, compte-gouttes, etc.), permet de fabriquer environ dix fromages par jour. D'après J.C. Lambert, chargé de la diffusion de ce matériel, ces kits « ont permis l'obtention de fromages de qualité nettement améliorée, notamment au niveau de l'hygiène (pas d'impuretés physiques, protection contre les mouches et la poussière, aucune manipulation directe) et de la qualité commerciale (fromages de poids et de dimensions constants, de forme plus esthétique, plus fa ciles à transporter et à manipuler). Plus de 400 productrices organisées en association ont bénéficié de cette nouvelle technologie. Au lieu de vendre de façon aléatoire et risquée sur le bord de la route Agadez-Tahoua des fromages à 100 F CFA pièce avec un litre et demi de lait, il leur est maintenant possible, sans se déplacer, de vendre plus cher (souvent plus de 125 F CFA) un fromage nécessitant seulement 1 litre de lait. Cette technologie a également eu des conséquences économiques et sociales positives grâce au meilleur rendement fromager, et à la facilitation et la diminution du travail pour les femmes. » Le tchoukou et toutes les autres variétés de fromage présentent des avantages non négligeables. Outre qu'ils se gardent beaucoup plus longtemps que le lait, ils permettent de pallier les irrégularités de la production laitière, souvent saisonnière, en absorbant les excédents. Comme les vendeuses de tchoukou, les producteurs augmentent et stabilisent leurs revenus puisque, d'une façon générale, un litre de lait transformé en fromage voit sa valeur multipliée par deux. Enfin, le lait transformé bénéficie d'un marché porteur depuis que les populations urbaines, qui consomment volontiers fromages et yaourts, ne cessent d'augmenter. L'approvisionnement en lait s'effectue par des élevages péri-urbains, plus intensifs que les élevages traditionnels, qui se sont mis en place ces dernières années. La fabrication de fromage n'est pas simple. « Dans les pays du Nord, explique Mémina Sanogo, la production et la transformation du lait font appel à des techniques de plus en plus élaborées. Mais ces techniques et les produits qui en découlent ne peuvent être transposés tels quels dans les pays en développement. Les contraintes de prix, de commercialisation, de gestion technique de la production plaident plutôt en faveur de solutions modestes, de type unité artisanale reposant sur des techniques simples. » La création de petites fromageries en Afrique dynamise le développement de toute la filière lait et peut stimuler une augmentation et une amélioration de la production laitière locale puisqu'elle offre aux producteurs une garantie d'écoulement journalier de leur production. Mais il existe peu de fromageries, même modestes et fabriquées avec des matériaux locaux, car les équipements de base manquent dans la plupart des pays. La Laitière de Mauritanie En Mauritanie, une expérience intéressante s'est montée sur la transformation du lait de chamelle essentiellement. Nancy Abeiderrahmane, présidente de la laitière de Mauritanie, a raconté son expérience au cours d'un séminaire qui s'est tenu en octobre 1994 à Nouakchott sur « Chameaux et dromadaires : animaux laitiers » organisé par l'UCEC (voir encadré). Cette expérience résume bien les difficultés et les espoirs de ceux qui entreprennent de développer la filière lait en Afrique. « La laitière de Mauritanie a commencé ses activités en avril 1989. Sa capacité est de 600 litres par heure. En 1994, l'unité emploie plus de 26 personnes et traite plus de 3 000 litres de lait de chamelle et de vache par jour. L'idée de départ est très simple : l'arrière-pays constitue un grand réservoir de lait et la capitale un vaste marché de consommateurs qui n'avaient auparavant accès qu'au lait cru ou au lait importé. Quant au choix du lait de chamelle, il découle de considérations purement pragmatiques c'est le seul lait frais disponible à Nouakchott et dans ses environs. » La laiterie, devant l'évidente nécessité de disposer d'un approvisionnement autonome, a opté pour l'achat de lait auprès des producteurs existants, c'està-dire du secteur quasi traditionnel, sans tenter d'introduire de modifications à ce niveau, choix qui respecte la biodiversité et prévoit d'inciter aux améliorations plutôt que de les imposer. Nancy Abeiderrahmane insiste particulièrement sur ce point. En général, raconte la présidente, la laiterie organise un circuit de collecte avec ses propres véhicules et bidons. Afin d'éviter les conditions malsaines de la ville (parcours dans les ordures), les éleveurs s'éloignent parfois de la ville, jusqu'à 100 km. Le soir, le personnel de la laiterie peut attendre jusqu'à minuit et au-delà, surtout en saison des pluies, pour la réception du lait, compte tenu du peu d'organisation des producteurs et de leur subordination aux caprices de leurs troupeaux. La collecte de lait en saison des pluies est problématique car il faut quotidiennement retrouver les fournisseurs en déplacement, tandis que certains éleveurs arrêtent complètement la production de lait, préférant aller vers des régions éloignées. Le rendement laitier des chamelles dans un environnement aussi aride est faible. Le fourrage naturel manque. Il n'y a pas de production nationale de fourrage autre que les sous-produits de rizerie. Tout est importé. Ainsi, une chamelle reçoit couramment 10 kg d'aliments par 24 heures pour une production commercialisable de 3 ou 4 litres de lait. L'entreprise fournit au personnel des tenues dont elle assure le blanchissage quotidien et impose le port du turban, qui couvre toute la tête sauf les yeux, en guise de masque. La laiterie doit pouvoir disposer d'un moyen d'écouler les excédents de lait pour sécuriser et fidéliser les éleveurs, sûrs de vendre la totalité de leur production pendant toute l'année, rappelle Nancy Abeiderrahmane. Le seul produit élaboré par la laiterie à partir du lait de chamelle était le lait fermenté, très utilisé localement en boisson, mais ce lait s'est avéré difficile à écouler. Il ne peut être produit qu'en période d'excédent, donc de faible demande de produits laitiers. En outre, son coût de production est supérieur à celui du lait frais, tandis que traditionnellement, le lait fermenté est vendu moins cher que le lait frais cru. Depuis que l'on a découvert l'enzyme qui permet de fabriquer du fromage avec le lait de chamelle, la Laitière de Mauritanie envisage la fabrication de ceux-ci. Malheureusement, les Mauritaniens n'ont pas l'habitude de manger du fromage et il faut donc envisager de l'exporter. Il existe des laiteries au Mali, en Centrafrique, au Burundi, entre autres pays d'Afrique. Malgré quelques différences liées à l'environnement, la plupart des unités de transformation du lait rencontrent les mêmes types de problèmes. Celui de l'approvisionnement régulier en lait n'est pas le moindre. Pour la période de démarrage, les unités peuvent recourir à l'utilisation de poudre de lait pour compléter le lait frais local et garantir la régularité de l'approvisionnement. Le lait en poudre permet de produire un bon fromage, puis suscite l'intérêt des éleveurs qui cherchent à vendre une partie de leur production. Moyennant un suivi régulier des éleveurs afin d'améliorer l'alimentation et l'hygiène des troupeaux, il devient peu à peu possible d'obtenir un approvisionnement constant en lait local., POUR EN SAVOIR PLUS Ouvrages en français • La préparation des laitages -Agrodok 36 - Agrom/sa P.O. Box 41- 6700AA Wageningen - PAYS BAS et CTA • Créer une petite fromagerie - Expériences et procédés - Guide Pratique - Mémina Sanogo - GRET 213, rue La Fayette - 75010 Paris -FRANCE et CTA • La production laitière sous les tropiques T.R. Preston - CTA La fromagerie - Jean Luc Evette - ACCT 13, quai André Citroën - 75015 Paris -FRANCE • Le point sur , , Les petites laiteries » - Petites unités industrielles de transformation du lait - GRET 213, rue La Fayette - 75010 Paris - FRANCE • La technologie des fromages du lait de dromadaire Ramet - 1993 - Monographie - 110 p. - Etude de la FAO - Division Production et Santé Animale Viale de//e Terme di Caracalla - 00 100 - Rome - ITALIE Revue mondiale de zootechnie n'79 - 1994/2 Expériences de développement laitier - FA 0 Vale delle Terme di Caracalla - 00100 - Rome - ITALIE • La production de fromage au Bénin - Marlis Kees c%o PPEA - SP 13 - Naitingou - BENIN Annette von Lossau - c%o GTZ- OE422 - SP 5180 65726 Eschborn - ALLEMAGNE Ouvrages en anglais • Milk and dairyproducts :production and processing costs - FA 0Animal production and health -paper n' 62 • The technolgy of traditional milkproducts in deve%ping countries - FA 0 -Animal production and health paper 85 - 1990 - Viale delle Terme di Caracalla 00100 ROMA -ITALY • Village mille processing- FAOAnimalproduction and health -papern ° 45 - Vale dolle terme di Caracalla Rome - ITALY • Traditional cheesemaking manval - International Livestock Centre for Africa -Addis Ababa - ETHIOPIA • Updating camelids bibliography - Camel newsletter The Arab Center for the studies of and zones and dry lands - ACSAD - PO Box 2440 - Damascus SYRIANARAB REPUBLIC • Cheese production and marketing as a source of mcome for women in West Africa - Marlis Kees Instituts for Agricultural Economics l, Universi v of Giessen - Senckenbergstr 3 - 35390 Giessen GERMANYComment conserver le lait dans des régions où les températures sont souvent élevées et où les producteurs sont très dispersés ? 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