Développement rural et prospérité africaine : les enseignements du passé

L'Afrique subsaharienne a accédé à l'indépendance avec de grands espoirs, dont la plupart ne se sont pas concrétisés. Trente-deux des 47 pays les plus pauvres qui figurent sur la liste établie par les Nations unies sont des pays d'Afrique. Selon la Banque mondiale, c'est le plus grave échec du développement durable au XXe siècle. Quels enseignements peut-on tirer des erreurs passées pour améliorer et remettre sur pied les économies rurales d'Afrique ? L`Afrique reste rurale et largement tournée vers l'agriculture et l'économie pastorale. Même dans un pays comme le Nigéria, qui dispose de richesses pétrolières, l'agriculture reste la source principale du revenu national. Quatre-vingts pour cent des Africains vivent en zone rurale et produisent les quatre cinquièmes du produit national. Or, on néglige leurs besoins, ainsi que les moyens permettant de bâtir une économie rurale forte. Les pouvoirs publics donnent en effet la priorité aux 20 % d'Africains vivant dans les zones urbaines. En concentrant les ressources sur le développement des villes et de l'industrie, nombre d'Etats africains ont visé à la satisfaction des populations urbaines, qui constituent un facteur de déstabilisation politique. Mais les conséquences globales de cette stratégie sont à présent par trop manifestes. Au moment de son accession à l'indépendance, l'Afrique avait presque atteint l'autosuffisance et comptait parmi les grands exportateurs d'huile de palme (75 % des échanges mondiaux de ce produit pendant la deuxième guerre mondiale), de café et d'arachide. Aujourd'hui, la Malaisie contrôle 75 % du commerce d'huile de palme et en produit plus que l'Afrique occidentale. L'Indonésie, dont les exportations de café étaient pratiquement insignifiantes il y a 20 ans, exporte à présent plus que la Côte d'Ivoire ou l'Ouganda, deux des principaux producteurs africains de café. La production alimentaire ne suffit plus à couvrir les besoins d'une population à forte croissance démographique et le continent africain en est réduit à dépendre des importations. Une partie des denrées nécessaires est fournie par l'aide alimentaire, mais l'essentiel doit être acheté avec de rares devises ou avec des capitaux d'emprunt, à des taux d'intérêt très élevés. La FAO estime qu'à l'horizon 2010, l'Afrique aura besoin de 28, 7 milliards de dollars US pour importer des denrées venant compléter sa propre production, mais ne pourra probablement pas tirer plus de 12 milliards de dollars US de l'exportation de ses produits agricoles. Point de salut hors du secteur agricole L'Afrique est donc confrontée à un double problème : la nécessité d'accroître ses importations d'aliments et la diminution de ses ressources financières.A supposer qu'elle dispose de moyens suffisants pour payer les quantités croissantes d'importations ou que d'autres pays fournissent gratuitement des denrées, elle ne dispose de toute façon pas des infrastructures de transport (ports, réseaux routier et ferroviaire) permettant de distribuer des volumes aussi importants. Pour assurer sa survie économique, l'Afrique n'a d'autre solution que d'investir dans le secteur agricole, pour en mobiliser et en développer les ressources. Beaucoup d'Etats africains ont promis, dans le passé, de mettre en oeuvre une telle stratégie. Ainsi, en 1980, le Plan d'action de Lagos pour le développement économique de l'Afrique, approuvé par la session spéciale de l'Assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA, soulignait le besoin d'une «véritable révolution agricole en Afrique». Cette Assemblée précisait que les politiques définies devaient affirmer haut et fort la nécessité d'améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Elle affirmait aussi la nécessité d'accroître leur revenu réel afin que le secteur agricole soit plus attrayant et plus rémunérateur. Les décideurs africains ont admis que le développement agricole passait par le développement rural. Par la suite, en 1986, lors d'une réunion de discussion du Programme de priorité africain pour le redressement économique (APPER), les chefs d'Etat ont convenu de consacrer 25 % des budgets nationaux au secteur agricole.Des engagements similaires ont été pris lors de la Déclaration sur la participation populaire, à Arusha, en 1989, et lors du Sommet des chefs d'Etat africains à Addis Abeba, en 1990. Pourtant, à ce jour, aucun gouvernement d'Afrique n'a encore affecté une telle part de son budget au développement rural. Dans presque tous les pays du monde, le développement rural est l'un des principaux facteurs de croissance industrielle et de création d'emplois dans les zones urbaines (à l'exception de certains Etats, tels que Hongkong et Singapour, de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe, dont l'économie repose sur le pétrole). L'agriculture est la plus importante, mais non la seule, activité économique en zone rurale Une agriculture saine permet l'auto-suffisance alimentaire, génère des emplois et un excédent pour l'exportation. Elle ouvre également la voie à une industrialisation à petite échelle, fondée sur des activités connexes, notamment l'agro-alimentaire, la fabrication et la réparation d'outillages agricoles, les transports et les infrastructures financières (banques et crédit). A mesure que se développent de petites entités, expériences et ressources se constituent et permettent d'investir dans de nouvelles entreprises. Une grande partie de la population rurale trouve alors des emplois dans l'agriculture et dans les services et secteurs logistiques, et peut continuer à habiter les villages qui à leur tour connaissent une expansion. On évite ainsi un exode massif vers les rares métropoles et, par là-même, la pression accrue qu'une urbanisation non maîtrisée finit toujours par exercer sur les services urbains. Un avenir meilleur : l'approche participative Les échecs du développement rural ne sont pas dus seulement à l'insuffisance des investissements. La mise en oeuvre inappropriée des projets ainsi que l'inefficacité des mesures de soutien y sont aussi pour quelque chose. Les populations rurales sont au coeur de tout projet de développement rural. Or, il est rare que la planification soit fondée sur la définition des besoins et priorités perçus par ceux qui seront concernés au premier chef. Lorsqu'on interroge ces personnes, on constate généralement que leurs priorités sont différentes de celles imaginées par les responsables venus de l'étranger ou par les services gouvernementaux (voir encadré). Consulter les populations locales au stade préliminaire d'un projet permet non seulement de mettre à profit leurs connaissances, mais également de leur donner le sentiment de participer. En effet, lorsque ces populations peuvent jouer un rôle significatif dans tel ou tel projet, elles considèrent ce dernier comme «leur projet» et seront probablement plus disposées à s'engager individuellement et collectivement. Cela contribue à garantir une certaine durabilité au projet. En revanche, les populations rurales auxquelles on impose des projets peuvent sembler faire preuve de coopération pendant la réalisation du projet. Mais lorsque celui-ci arrive à terme et que l'équipe qui en était chargée quitte les lieux, ces populations ne disposent pas d'une expérience de gestion suffisante et ne témoignent pas d'un intérêt assez fort pour entretenir la dynamique. A présent, on se rend compte que les populations locales peuvent assurer la gestion au jour le jour du projet après le départ de l'équipe détachée, à condition d'une formation adéquate. En outre, dans de nombreux cas, les employés des services gouvernementaux n'ont pas besoin de rester longtemps sur place, ce qui se traduit par des économies importantes de salaires. Lorsque l'agriculture est l'élément clé du développement rural, les agriculteurs ont besoin de moyens de production, de crédits et de services de commercialisation. Nombre d'Etats ont autrefois mis en place des structures bureaucratiques seules en charge de la fourniture de ces moyens de production et de l'achat des produits. Non seulement ces organisations publiques ou paraétatiques se sont révélées défaillantes, mais elles ne disposaient pas non plus des compétences commerciales, des structures et des moyens de transport nécessaires pour acheter, acheminer, stocker et vendre les cultures dont elles étaient le seul acheteur. Les prix bas et les paiements qui se faisaient longtemps attendre ont dissuadé les agriculteurs d'accroître leur production. En Afrique occidentale tout particulièrement, mais dans d'autres pays aussi, le commerce des denrées agricoles est essentiellement assuré par les femmes. Ce sont également les femmes africaines qui, pour une grande part, sont chargées de la production alimentaire. Pourtant, elles continuent d'être tenues à l'écart du développement rural : ainsi, dans de nombreux pays africains, elles n'ont pas de droits fonciers et, si elles peuvent acheter des terres ou souhaitent emprunter de l'argent, elles doivent faire appel à un membre masculin de leur famille. Malgré leur position désavantagée et leur surcharge de travail, de nombreuses femmes font preuve d'innovation par exemple en Tanzanie dans la production de fleurs pour l'exportation, en Afrique occidentale dans le pressage de l'huile de palme, ainsi que dans la production fromagère, l'apiculture et l'aquaculture. Si des aides, notamment financières, leur étaient accordées, elles pourraient contribuer davantage à améliorer le revenu de leur famille, de leur communauté et de leur pays. L'argent est le «lubrifiant», voire le moteur du commerce, et si l'on veut que l'agriculture se développe au-delà d'une économie de subsistance et de troc, les organismes de financement public et les banques commerciales devront se montrer plus disposés à accorder des facilités de crédit. La gestion de prêts d'un montant peu élevé, consentis à un grand nombre d'agriculteurs, est à la fois risquée et coûteuse. Les garanties font aussi fréquemment défaut. Cependant, l'expérience en Asie et en Afrique montre que le prêt de petites sommes à des particuliers peut générer des rendements très élevés et donner lieu à des remboursements dans d'excellentes conditions (voir Spore 11 - Crédit : une question de confiance, et Spore 12 - Une banque pour les pauvres). Toute personne sachant compter, lire et écrire peut gérer un budget et ces différents facteurs contribuent au développement individuel et communautaire. L'agro-alimentaire, qui nécessite de petits équipements, offre à la fois une alternative à l'agriculture en termes d'emploi et la possibilité d'ajouter de la valeur aux productions locales. Les industries rurales Actuellement, la majeure partie des produits agricoles quittent les zones rurales pour être transformés dans les villes ou dans un pays importateur, d'où les pertes d'emplois et de richesses pour le secteur agricole. La centralisation des activités de transformation des céréales, de préparation et de mise en conserve des fruits et légumes, de broyage des oléagineux, de production d'aliments pour animaux et de produits laitiers (fromages, par exemple), et du conditionnement permet de réelles économies d'échelle. Cependant, pour être rentables, les grandes usines de transformation des produits doivent avoir en permanence d'importants volumes à traiter, exigence difficile à satisfaire. Les activités locales de transformation à petite échelle, disséminées dans le pays, requièrent généralement plus de maind'oeuvre et moins d'investissements que des installations modernes. Elles sont plus proches des sources d'approvisionnement, produisent pour le transport un volume moindre de produits à valeur plus élevée et génèrent en zone rurale des résidus (sons, tourteaux, déchets) qui peuvent être valorisés par les agriculteurs et les éleveurs. Dans les villes, ces résidus constituent, au mieux, une nuisance, et au pire, une pollution. L'agriculture, l'agro-alimentaire et les services de transport ont besoin des compétences d'ingénieurs, de ferronniers, de mécaniciens, de charpentiers, de maçons, de plombiers et d'électriciens. Les communautés prospères ont les moyens d'attirer tailleurs et couturières, artisans du cuir, tisserands, potiers, et de susciter l'implantation de lieux de restauration, de magasins et d'échoppes divers. Tout comme le succès appelle le succès, le développement stimule le développement. Echanges, aide et investissements Le continent africain est déjà l'un des principaux bénéficiaires de l'aide étrangère, mais la grosse partie de cette aide permet juste de survivre. L'Afrique a également besoin d'investissements commerciaux plus nombreux et de termes de l'échange plus favorables. A l'heure actuelle, l'Afrique subsaharienne ne reçoit que 3 % de l'investissement étranger privé mondial, soit beaucoup moins que le Portugal par exemple. En l'absence d'investissements, il y a peu d'espoirs que l'Afrique décolle de son niveau d'économie de subsistance puisque l'agro-alimentaire et les autres industries liées à l'agriculture requièrent des investissements de départ. Les échanges commerciaux sont aussi l'autre pôle à développer pour que l'Afrique atteigne un certain niveau de prospérité. Les programmes d'aide sont une chose, mais l'Afrique subsaharienne doit tabler toujours plus sur le commerce que sur l'aide pour assurer sa prospérité : ses importations et exportations représentent en effet près de la moitié du PIB du continent. Les résultats commerciaux sont donc un élément crucial dans la perspective d'un redressement de la situation africaine, même si la part du continent dans les échanges mondiaux a diminué, passant de 3 % à un peu plus de 1 % au cours des vingt dernières années. Les taxes sur les produits transformés prélevées par les pays importateurs pour protéger leurs propres marchés constituent indubitablement un aspect du problème. Moins d'un dixième de la valeur finale des exportations africaines de café et de chocolat revient à l'Afrique. Le montant moyen des taxes est de 2, 6 % sur les fèves de chocolat, de 4, 3 % sur les fèves transformées et de 11, 8 % sur le produit final (chocolat). Ces faibles chiffres dissuadent d'investir dans des installations de transformation locales et renforcent la dépendance de l'Afrique vis-à-vis des exportations de denrées de base. Des barrières commerciales existent pour diverses denrées couvertes par la Politique agricole commune (notamment le sucre, la viande et les légumes) bien qu'aux termes de la Convention de Lomé, une grande partie de l'Afrique bénéficie d'un accès préférentiel pour ses produits. De plus, beaucoup de denrées de l'Union européenne sont vendues à des prix subventionnés en Afrique, ce qui handicape les productions locales. Si le développement veut porter ses fruits en Afrique - et il doit réussir à s'imposer pour que le déclin économique africain soit enrayé -, les donateurs, les partenaires commerciaux et les pouvoirs publics africains doivent réétudier les priorités, les politiques et la mise en oeuvre de projets ruraux, l'agriculture offrant à cet égard le plus grand potentiel d'entraînement de l'économie.L'Afrique subsaharienne a accédé à l'indépendance avec de grands espoirs, dont la plupart ne se sont pas concrétisés. Trente-deux des 47 pays les plus pauvres qui figurent sur la liste établie par les Nations unies sont des pays d'Afrique...