DISSO, VINGT ANS DE DIALOGUE RADIOPHONIQUE AVEC LES PAYSANS

Ahmed Baba Counta est directeur de la Radio Educative Rurale de l'Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal. Parmi tous les animateurs de radio rurale que Spore a pu rencontrer, c'est l'un des personnages les plus marquants de l'aventure radiophonique africaine. Son émission, Disso, qui existe depuis 20 ans, est sans conteste l'une des plus originales, des plus achevées. La rédaction de Spore a eu souvent l'occasion de le rencontrer et nous avons essayé ici de résumer ces entretiens, la riche expérience de Disso Disso veut dire « dialogue, concertation » en Woloff. En entendant ce titre, les auditeurs savent tout de suite que ce n'est pas une émission comme les autres. En premier lieu, nous avons voulu indiquer par là que nous nous adressions aux agriculteurs dans leur langue. Je devrais plutôt dire dans leurs langues car nous émettons en Woloff mais aussi en Pullar, en Soninké, en Cérer, en Mandingue et en Dioulla. Avec ces cinq langues, nous couvrons l'essentiel du monde rural dans toute sa diversité, de la Casamance humide au désert du Ferlo, des maraîchers du Cap-Vert aux exploitants des petits périmètres du fleuve. Mais ce que nous faisons pour la langue, nous devons également le faire pour le vocabulaire. Pour transmettre un message technique qui véhicule des idées novatrices, il faut employer des mots qui souvent en'existent pas. Des concepts comme semis en ligne, buttage, jachère ou cultures associées peuvent être totalement étrangers à certaines communautés. Mais Disso veut également dire que l'émission ne se contente pas de délivrer un savoir ou une information à des auditeurs passifs. Des journalistes tels que nous sommes pourraient se contenter de faire ce à quoi leur formation les a préparés et s'en tenir là. C'est-à-dire collecter l'information auprès de sources non responsabilisées au « produit » final, mettre cette information en forme selon leurs propres critères et, enfin, diffuser cette information, à sens unique, vers le public. Disso est très loin de ces méthodes classiques. C'est un dialogue entre les services de l'agriculture et les paysans dans lequel les journalistes jouent non seulement un rôle d'intermédiaires mais d'animateurs. Pour comprendre Disso telle qu'elle est aujourd'hui, il faut revenir un peu sur son histoire. En 1968, l'UNESCO et notre gouvernement ont décidé de créer la Radio Educative Rurale, la RER. La création de la RER, dont Disso est l'émission, correspondait à la prise de conscience de l'énorme importance que la radio était en train de prendre en milieu rural. C'est maintenant devenu une évidence mais, il y a vingt ans, c'était une chose assez nouvelle. Au Sénégal comme dans beaucoup de pays africains, les émissions ont reposé au départ sur le principe des écoutes collectives. Une bonne partie du village se retrouvait à certains moments autour du seul poste de radio, parfois financé dans le cadre de projets. Aux heures d'émissions agricoles, des agents d'encadrement étaient au milieu des paysans, prolongeaient la discussion par des indications techniques plus précises et répondaient aux questions qui ne manquaient pas. Par la suite, les choses ont changé, les postes de radio se sont multipliés et les écoutes collectives sont tombées d'elles-mêmes. En 1979, au coeur de la sécheresse, il a été décidé au plus haut niveau politique de multiplier les émissions et de faire passer Disso d'une heure hebdomadaire à quarante-cinq minutes quotidiennes, six jours par semaine. Pour cela, la fin des écoutes collectives a été bénéfique. Il n'aurait pas été possible de mobiliser chaque jour les encadreurs ruraux. Mais pour maintenir ce dialogue, nous avons décidé de distribuer des centaines d'enveloppes à l'adresse de la RER que nous déposons au siège des coopératives. De cette manière les paysans gardent la possibilité de réagir après avoir écouté notre émission. Très souvent, ces lettres sont des doléances. Cela permet aux services de l'agriculture d'être en prise directe avec les problèmes et les désirs du monde rural. Ce sont aussi des questions. Nous pouvons y répondre en partie mais souvent, pour être exacts et complets, nous de vons faire appel aux correspondants des services agricoles qui travaillent en étroite liaison avec la RER. Deux fois par mois, le Comité de la RER se réunit au ministère du Développement Rural pour faire la critique de la programmation passée et préparer l'avenir. Le contenu de Disso est élaboré par les sociétés d'intervention, les services qui travaillent en relation directe avec les paysans et nous nous occupons d'en faire une écriture radiophonique appropriée. Mais je dois dire que si nous sommes proches des services agricoles, nous sommes un peu à l'écart des chercheurs. Il arrive que la recherche fasse particulièrement appel à nous pour vulgariser tel ou tel nouveau résultat de son travail mais ce n'est pas un contact étroit ni permanent. La recherche est encore bien isolée des communicateurs. En revanche, même si une grande part de notre travail consiste à être des médiateurs entre les services officiels et les paysans, nous essayons, quand nos petits moyens nous le permettent, de partir seuls en milieu rural. C'est non seulement l'occasion d'être en contact direct avec nos auditeurs mais aussi celle de jouer notre rôle d'animateurs ruraux. Nous cherchons aussi le contact avec le monde extérieur, avec l'étranger. Grâce à des visites que j'ai pu faire en France et au Canada, je suis entré en contact avec Radio France Internationale et le réseau canadien des radios rurales. Cela permet de savoir ce qui se fait en matière de recherche scientifique et technique dans les pays du Nord et aussi de se mettre en contact avec les autres radios rurales qui ont souvent à traiter des mêmes thèmes que nous. Ces échanges Nord-Sud et Sud-Sud sont toujours les bienvenus. La radio, moyen privilégié de communication rurale, va considérablement se développer dans les années à venir. Il faut en profiter pour descendre plus près encore des paysans. Notre histoire a commencé il y a vingt ans, mais c'est une aventure toujours nouvelle. Ahmed Baba Counta Directeur de la Radio Educative Rurale d'après une série d'entretiens réalisés par RFI et le CTA.Ahmed Baba Counta est directeur de la Radio Educative Rurale de l'Office de Radiodiffusion Télévision du Sénégal. Parmi tous les animateurs de radio rurale que Spore a pu rencontrer, c'est l'un des personnages les plus marquants de l'aventure..