Les laboureurs gascons pendant la révolte contre Simon de Montfort (1248-1252)

International audienceLes révoltes paysannes au Moyen Âge dans le Sud-Ouest de la France ne sont pas bien connues. Les grandes commotions sociales du XIVe siècle, comme la Jacquerie de 1358, le Tuchinat en 1381-1384 ont touché l’Ile de France, le Languedoc ou, en dehors de la France, le Kent en 1381. Plus tôt, on peut aussi citer aussi la célèbre révolte des paysans normands de la fin du Xe siècle. L’absence apparente de tels soulèvements ruraux en Gascogne au Moyen Âge, entretient l’idée fausse d’une apathie collective et d’un consentement aux formes de dépendance qui se développent alors, ce que contredisent les sources judiciaires de la fin du Moyen âge - les lettres de rémissions -, qui rendent compte de coups de main collectifs contre les hommes d’armes enclenchés par des moyens de mobilisation coutumiers .Plus tôt, en 1236-1237, des paysans de l’Entre-deux-Mers bordelais s’étaient ligués pour faire appel au roi d’Angleterre Henri III afin de se plaindre à lui des exactions que leur faisaient subir les sénéchaux, baillis et prévôts du roi. Cette autre forme de résistance a donné lieu au déclenchement d’une enquête dont le PV a été conservé, au sein de laquelle les représentants des paroisses rurales de l’Entre-deux-Mers ont dénoncé les agents du roi et leurs complices, et au terme de laquelle ils ont obtenu confirmation de leurs franchises et privilèges. Les dépositions recueillies dans ce PV rendent aussi compte de l’existence d’un corpus de représentations étonnantes, de nature politique et historique, puisés notamment dans le légendaire carolingien, où les délégués paysans développent une vision du pouvoir royal procédant de délégations populaires ainsi qu’une vision de l’origine de leurs franchises remontant à Charlemagne. Une couche sociale aussi politisée et aussi réactive face au resserrement de l’appareil administratif, on s’attend à la trouver en bonne place pendant la révolte contre Simon de Montfort au milieu du XIIIe siècle. D’autant qu’en Angleterre, pendant la guerre civile de 1263-1265 entre les partisans de ce même Simon de Montfort et les royalistes, des paysans anglais ont manifestement pris le parti des réformés contre le roi, au nom du bien du royaume (David Carpenter ).Alors que l’on ne manque pas de traces de participation avérée des villes et de la noblesse régionale à la révolte contre Simon de Montfort, les sources sont plus discrètes sur une éventuelle participation paysanne à ce mouvement d’ampleur. Seuls deux textes, à ma connaissance, jettent un éclairage sur ce pan de l’histoire de la région. Il s’agit d’un extrait de la Grande chronique de Matthieu Paris sur un épisode de la croisade des Pastoureaux de 1251, et d’une pétition adressée les gens du pays de Gosse, en Dacquois méridional, en mai 1252 (voir PJ). Si le premier de ces textes éclaire indirectement les difficultés des jeunes ruraux, des adolescents paupérisés qui affluent vers les troupes de Pastoureaux, le second retiendra davantage notre attention. Il offre en effet la preuve que les paysans de cette époque se sont appropriés, comme Mathieu Arnoux vient de le monter, l’image du modèle social de la théorie des trois ordres et qu’ils entendent promouvoir une image positive du labeur paysan. Et s’ils promeuvent ainsi une société chrétienne idéale où « laboureurs » et chevaliers vivent dans la paix, c’est pour mieux accuser Simon de Montfort et ses hommes d’en perturber l’harmonie. La politisation de la paysannerie gasconne au XIIIe siècle, dont cette savoureuse pétition apporte la preuve, se nourrit aussi des modèles savants issus de l’augustinisme